Les températures extrêmes ont un prix très élevé
Une étude réalisée à l’Université de Berne prouve pour la première fois de manière détaillée la façon dont la chaleur a entraîné une surmortalité croissante en Suisse au cours des cinquante dernières années. L’association du changement climatique et du vieillissement de la population, conclut-elle, deviendra un réel problème à l’avenir.
Les conséquences du réchauffement climatique sur la Suisse deviennent de plus en plus évidentes. Une étude de l’Université de Berne, qui vient de paraître dans la revue spécialisée « Environmental Health Perspectives », présente en détail l’évolution du nombre de décès supplémentaires dus à la chaleur et au froid au cours des cinquante dernières années. La population de plus en plus âgée, qui fait partie des groupes particulièrement vulnérables, joue un grand rôle dans ce contexte. « Nos résultats démontrent que le changement climatique et le vieillissement de la population représentent un double défi pour les générations futures », explique Evan de Schrijver, auteur principal de l’étude. Il est doctorant dans le groupe de recherche « Changement climatique et santé » au Centre Oeschger pour la recherche climatique et à l’Institut de Médecine Sociale et Préventive (ISPM) de l’Université de Berne. « Nous estimons », explique le chercheur, « qu’au cours des cinquante dernières années, plus de 9% des décès sont liés aux températures trop basses ou trop élevées. »
Pour leur étude à l’échelle nationale, les chercheuses et chercheurs ont pu s’appuyer sur une grande quantité de données qui n’avaient pas encore été exploitées : les causes de décès réparties par classe d’âge de toutes les communes suisses entre 1969 et 2017. Ces informations ont été associées aux températures moyennes locales dans le cadre de l’analyse statistique.
Les conséquences de la chaleur augmentent malgré les mesures prises
La conclusion de l’enquête : les causes de décès qui ont pu être imputés à la chaleur ont fortement augmenté. Il s’agissait de 78 décès par an au cours des années 1970, plus de 300 au cours de la décennie 2000-2010. Les cantons les plus touchés par cette surmortalité étaient Genève, Zurich, Bâle ainsi que le Tessin. Environ deux tiers des décès supplémentaires causés par la chaleur concernaient des personnes de plus de 80 ans. « Nos résultats indiquent que les mesures de santé publique prises après la canicule de 2003 ont été efficaces, puisque le nombre de décès liés à la chaleur a diminué entre 2000 et 2009, malgré les étés extrêmement chauds que nous avons connus depuis », indique Dr. Ana Vicedo-Cabrera de l’ISPM, dernière auteure de l’étude. « Néanmoins, l’impact sur la santé lié à la chaleur reste considérable, et, plus important encore : il est prévu que cet impact s’aggravera dans les décennies à venir en raison du changement climatique. Il faut donc en faire plus pour des mesures durables de santé publique afin de protéger la population des effets du changement climatique », ajoute-t-elle.
Le vieillissement de la population renforce la mortalité liée au froid
En Suisse, la chaleur n’est pas le seul problème que doivent affronter les habitant-e-s : le froid les affecte aussi, et même dans une bien plus grande mesure. Au cours des cinquante dernières années, plus de 5200 personnes par an sont décédées en Suisse à la suite de températures basses. Mais de quoi exactement ? « Contrairement aux vagues de chaleur, pour lesquelles les conséquences sur la santé sont clairement visibles, les choses sont bien plus complexes avec le froid », explique Evan de Schrijver. Parmi les facteurs d’influence figurent l’augmentation des maladies infectieuses en hiver, mais aussi la qualité du logement et l’accès aux soins de santé. Cependant, les décès liés au froid ont nettement diminué au cours de la période étudiée, probablement en raison de l’amélioration des soins de santé, d’un statut socio-économique plus élevé et donc d’une meilleure qualité de logement et de chauffage. Cependant, bien que ces facteurs se soient améliorés, entraînant ainsi une diminution des décès liés au froid, cet effet est annulé par le vieillissement de la population. « En cas de chaleur, le vieillissement de la population renforce l’effet du changement climatique, tandis qu’en cas de froid, il annule l’amélioration des conditions et l’adaptation potentielle aux basses températures », indique Evan de Schrijver. « Une idée maîtresse de notre étude est donc : la mortalité liée au froid restera prédominante dans les décennies à venir, malgré la hausse des températures, en raison du vieillissement progressif de la population », poursuit Evan de Schrijver.
Protéger les personnes âgées des conséquences du changement climatique
Les nouveaux résultats de la recherche sont pertinents pour l’adaptation de la Suisse au changement climatique. « La protection des personnes âgées pourrait être d’une importance cruciale », déclare Evan de Schrijver, « pour atténuer les effets du réchauffement climatique sur la santé et renforcer la résilience de la population. » En effet, à mesure que nous vieillissons, la hausse des températures a un impact de plus en plus important sur notre santé. Le nombre de personnes potentiellement concernées par les risques de canicule en raison de leur âge, selon l’étude, devrait doubler d’ici 2060, selon d’autres études. L’association du réchauffement climatique et du vieillissement de la population renforcera globalement les effets de la chaleur. « Donc, si nous voulons protéger les générations futures de la menace du changement climatique, nous devrions développer des stratégies d’adaptation plus ambitieuses au niveau national et local comme, par exemple, plus d’espaces verts dans les villes pour réduire la chaleur », est convaincu Evan de Schrijver.
L’étude sur le climat la plus remarquée au monde
Le groupe de recherche « Changement climatique et santé » de l’Université de Berne a déjà fait parler de lui l’année dernière avec une étude. Ana Vicedo-Cabrera, responsable du groupe, coordonne une étude internationale qui, pour la première fois, a mis en évidence l’impact réel du changement climatique d’origine humaine sur les décès liés à la chaleur. Le résultat le plus important : entre 1991 et 2018, plus d’un tiers des décès liés à la chaleur ont été attribués au réchauffement climatique. L’étude publiée dans la revue spécialisée « Nature Climate Change » a déclenché des vagues à l’échelle internationale. Selon « Carbon Brief », un site web britannique spécialisé dans la science et la politique climatiques, elle était en 2021 l’étude sur le climat la plus médiatisée au monde.
Informations relatives à la publicationEvan de Schrijver, Marvin Bundo, Martina S. Ragettli, Francesco Sera, Antonio Gasparrini, Oscar H. Franco, and Ana M. Vicedo-Cabrera: Nationwide Analysis of the Heat- and Cold-Related Mortality Trends in Switzerland between 1969 and 2017: The Role of Population Aging. 9 mars 2022; Environmental Health Perspectives. doi: https://doi.org/10.1289/EHP9835 |
Centre Oeschger pour la recherche climatiqueLe Centre Oeschger pour la recherche climatique (OCCR) est un des centres stratégiques de l’Université de Berne. Il réunit des chercheuses et des chercheurs de 14 instituts et quatre facultés. L’OCCR mène des recherches interdisciplinaires au tout premier plan en matière de climatologie. Le Centre Oeschger a été fondé en 2007 et porte le nom de Hans Oeschger (1927-1998), un pionnier de la recherche climatique moderne qui travaillait à Berne. |
Institut de Médecine Sociale et PréventiveDepuis 1971, depuis 50 ans, l’Institut de Médecine Sociale et Préventive (ISPM) de l’Université de Berne s’engage pour l’amélioration de la santé et du bien-être des individus et de la société. Grâce à une recherche de haute qualité dans les domaines de la prévention, de la médecine sociale, de l’épidémiologie, de la biostatistique et de la santé publique, et en collaboration avec de nombreux partenaires nationaux et internationaux, l’ISPM est synonyme de « santé pour tous ». |
10.03.2022