Elargissement des vallées de l’Aar et de la Gürbe lors de la dernière période glaciaire
Une équipe dirigée par l'Université de Berne a pu apporter la preuve que les glaciers de l'avant-dernière période glaciaire ont principalement érodé le substrat rocheux entre Thoune et Berne, mais que lors de la dernière glaciation, les glaciers ont principalement entraîné un élargissement de la vallée et non un approfondissement supplémentaire. Les chercheurs ont modélisé la géométrie de la roche-mère à l'aide de mesures gravimétriques pour parvenir à leurs conclusions.
Les grandes périodes glaciaires se répètent tous les cent mille ans, comme en témoigne le passé géologique récent de la région alpine. Au cours de la période glaciaire « Riss », il y a entre 200 000 et 150 000 ans, les glaciers ont avancé loin sur le plateau suisse et ont façonné le paysage. La même chose s'est produite lors de la glaciation « Würm » il y a entre 100 000 et 20 000 ans, lorsque plusieurs petites avancées glaciaires et en particulier le dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans, ont conduit à un nouveau changement dans notre paysage. Ces masses de glace n'ont pas seulement érodé les collines et les montagnes, elles ont également conduit à la formation de vallées et de gorges de plusieurs centaines de mètres de profondeur, appelées surcreusements glaciaires. Ces structures ont ensuite été recouvertes de gravier, d’argile et de débris après le retrait des masses de glace et sont aujourd’hui cachées sous la surface des vallées. La ville de Berne est construite sur un tel système de vallées souterraines. Il en va de même pour les vallées de l'Aar et de la Gürbe. Là, le substrat rocheux est enfoui jusqu'à 200 mètres sous le fond de la vallée. A quoi ressemblent la roche-mère sous ces vallées, aujourd’hui ? Ont-elles des pentes raides et une section transversale en forme de U, ou ont-elles plutôt une forme en V, avec des flancs légèrement inclinés ? Quelle forme de vallée les deux grandes glaciations ont-elles laissées ? Ces questions ont maintenant trouvé une réponse dans une étude menée par l'Institut de géologie de l'Université de Berne. Les chercheurs ont pu prouver que l'érosion glaciaire lors de la glaciation « Riss » a principalement contribué à l'approfondissement de ces surcreusements. Ils ont également documenté que les glaciers de la dernière grande glaciation, il y a 20 000 ans, n'ont pas approfondi ces vallées, mais les ont élargies. L'étude a été publiée dans la revue Scientific Reports.
Détermination de la géométrie du surcreusement grâce aux mesures gravimétriques
Après leur formation, les surcreusements se sont remplis de moraines, de graviers et de dépôts lacustres. Ces dépôts étant non consolidés, ils ont une densité plus faible et sont environ 20 % plus légers que la roche-mère, composée de molasse, qui délimite les flancs de ces vallées surcreusées. Cette différence peut être déterminée à l’aide d’un gravimètre. Un gravimètre mesure l'accélération due à la pesanteur à un point donné, celle-ci dépend de la densité du sous-sol. « Ces appareils sont réglés très finement afin que même les plus petits écarts dans la distribution de densité puissent être enregistrés », explique le professeur Fritz Schlunegger, qui a lancé l'étude avec son collègue de l'ETH Zurich, le professeur Edi Kissling. Le travail a été réalisé par Dimitri Bandou dans le cadre de sa thèse. Les chercheurs ont maintenant effectué des mesures gravimétriques dans les vallées du Gürbe et de l'Aar, avec un gravimètre de l'Office fédéral de topographie swisstopo. Ils ont pu prouver que sous les deux vallées, il y a des surcreusements qui ont été comblés avec des graviers et des dépôts lacustres. Dans la vallée de la Gürbe, cette « vallée cachée » est d'environ 155 mètres de profondeur, et dans celle de l'Aar, le surcreusement y est plus profond d’au moins 100 mètres. Grâce aux forages d'exploration, la présence de tels surcreusements sous les deux vallées était connue. « Avec les mesures gravimétriques, cependant, nous avons pu montrer pour la première fois que les flancs de ces structures sont en partie verticaux et que leurs fonds sont plats », explique Schlunegger. Cela a permis d'apporter la preuve d'une géométrie en forme de U. « Ces surcreusements ont été formés par l’érosion glaciaire. »
Une forme asymétrique
Les mesures gravimétriques ont également montré que le surcreusement est composé de deux parties. « Dans la zone supérieure, les flancs du surcreusement sont nettement plus espacés et moins pentus qu'en profondeur. Cela signifie que la partie supérieure est large et plate, contrairement à la partie inférieure qui est étroite et profonde », explique Dimitri Bandou, qui mène l'étude dans le cadre de sa thèse. Les chercheurs attribuent cette géométrie particulière à l'érosion des glaciers en deux temps, lors d'une avancée glaciaire plus ancienne et une plus récente.
« Dans le passé géologique, il y a eu plusieurs avancées glaciaires dans les Alpes, et également dans la région de Berne », explique Bandou. Une très grande glaciation s'est produite au cours de la période glaciaire « Riss » il y a environ 200 000 à 150 000 ans. « Pendant de cette période glaciaire, les glaciers étaient plus gros et plus épais que lors du dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans », explique Bandou. « C’est la raison pour laquelle les glaciers du « Riss » ont pu creuser dans la roche-mère, alors que les glaciers du « Würm » plus récents et moins épais, ont principalement conduit à un élargissement des flancs » .
Mécanismes pas encore compris
Les chercheurs n'ont pas encore été en mesure d'expliquer pourquoi les glaciers forment des surcreusements. « Contrairement à la formation des vallées par les rivières, nous ne pouvons toujours pas simuler le pouvoir d’érosion des glaciers et en particulier la formation du surcreusement par modélisation », explique Schlunegger. Cela est du au manque d'informations détaillées sur la surface rocheuse et en particulier sur les flancs des surcreusements glaciaires. « Les glaciers érodent non seulement en profondeur, mais aussi latéralement, et donc les flancs de la vallée fournissent des informations de diagnostic afin que l'action des glaciers puisse être mieux comprise », explique Schlunegger. L'étude qui vient d'être publiée devrait permettre de mieux comprendre comment les glaciers façonnent le paysage.
Ces résultats de recherche sont le fruit de nombreuses années de collaboration entre l'Université de Berne, l'ETH Zürich, l'Office fédéral de topographie swisstopo, Stiftung Landschaft und Kies et l’Assurance immobilière Berne, sous la direction du professeur Fritz Schlunegger de l'Institut de géologie de l'Université de Berne. Le projet de recherche a été financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS).
Détails sur la publication :Bandou, D., Schlunegger, F., Kissling, E., Marti, U., Schwenk, M., Schläfli, P., Douillet, G., Mair, D.: Three-dimensional gravity modelling of a Quaternary overdeepening fill in the Bern area of Switzerland discloses two stages of glacial carving. Scientific Reports. Doi: org/10.1038/s41598-022-04830-x |
02.02.2022