Un couple d’objets planétaires nés comme des étoiles
Une équipe de recherche internationale, menée par l’Université de Berne, a découvert un système binaire exotique composé de deux jeunes objets planétaires, orbitant l’un autour de l’autre à très grande distance. Bien que ces objets ressemblent à des exoplanètes géantes, ils se sont formés de la même manière que les étoiles, prouvant que les mécanismes conduisant à la naissance d’étoiles peuvent produire des mondes solitaires dans des systèmes insolites dépourvus d’étoile.
Les processus de formation des étoiles créent parfois de mystérieux objets astronomiques appelés naines brunes, plus petits et plus froids que les étoiles, et pouvant atteindre des masses et des températures aussi basses que celles des exoplanètes dans les cas les plus extrêmes. Tout comme les étoiles, les naines brunes errent souvent seules dans l’espace, mais peuvent aussi être vues dans des configurations binaires, où deux naines brunes gravitent l’une autour de l’autre et se déplacent ensemble à travers la galaxie.
Des chercheurs dirigés par Clémence Fontanive du Centre de l’Espace et de l’Habitabilité (CSH) et du Pôle de recherche national PRN PlanetS ont découvert un curieux système binaire de naines brunes. Le système CFHTWIR-Oph 98 (ou Oph 98 pour faire court) se compose de deux objets de très faibles masses, Oph 98 A et Oph 98 B. Il est situé à 450 années-lumière de la Terre dans la constellation d’Ophiuchus. Les chercheurs ont été surpris par le fait qu’Oph 98 A et B gravitent l’un autour de l’autre à une distance étonnamment grande, environ 5 fois la distance entre Pluton et le Soleil, ce qui correspond à 200 fois la distance entre la Terre et le Soleil. L’étude vient d’être publiée dans The Astrophysical Journal Letters.
Des masses extrêmement faibles et une très grande séparation
Le couple est un exemple rare de deux objets étant à bien des égards similaires à des planètes géantes extra-solaires, et en orbite l’un autour de l’autre sans étoile mère. Le plus massif, Oph 98 A, est une jeune naine brune avec une masse de 15 fois celle de Jupiter, ce qui la situe presque exactement à la frontière entre les naines brunes et les planètes. Son compagnon, Oph 98 B, n’est lui que 8 fois plus lourd que Jupiter.
Les composantes de systèmes doubles sont liées par un lien invisible appelé énergie de liaison gravitationnelle, et ce lien devient plus fort lorsque les objets sont plus massifs ou plus proches les uns des autres. Avec des masses extrêmement faibles et une très large séparation entre les deux naines brunes, Oph 98 a l’énergie de liaison la plus faible de tous les systèmes binaires connus à ce jour.
Une découverte grâce à des données de Hubble
Clémence Fontanive et ses collègues ont découvert le compagnon d’Oph 98 A à l’aide d’images du télescope spatial Hubble. Fontanive explique : « Les naines brunes de faible masse sont très froides et émettent très peu de lumière, seulement par rayonnement thermique infrarouge. Cette lueur due à la chaleur est extrêmement faible et rouge, et les naines brunes ne sont donc visibles que dans la lumière infrarouge. » En outre, la constellation dans laquelle se trouve le système, Ophiuchus, est immergée dans un nuage dense et poussiéreux qui disperse la lumière visible. « Les observations infrarouges sont le seul moyen de voir à travers cette poussière », précise la chercheuse principale. «Détecter un système comme Oph 98 nécessite également une caméra à très haute résolution, car l’angle séparant Oph 98 A et B est mille fois plus petit que la taille de la Lune dans le ciel », ajoute-t-elle. Le télescope spatial Hubble est l’un des rares télescopes capables d’observer des objets aussi peu lumineux que ces naines brunes, tout en étant à même de discerner des angles aussi serrés.
Parce que les naines brunes sont suffisamment froides, de la vapeur d’eau se forme dans leur atmosphère, créant des caractéristiques proéminentes dans l’infrarouge qui sont couramment utilisées pour identifier les naines brunes. Cependant, ces signatures d’eau ne peuvent être facilement détectées depuis la surface de la Terre. Situé au-dessus de l’atmosphère dans le vide de l’espace, Hubble permet de sonder l’existence de vapeur d’eau dans les objets célestes. Fontanive explique : « Les deux objets avaient l’air très rouges et montraient des signes clairs de molécules d’eau. Cela a immédiatement confirmé que la source peu brillante que nous voyions à côté d’Oph 98 A était très susceptible d’être aussi une naine brune froide, plutôt qu’une étoile aléatoire qui se trouverait être alignée avec la naine brune dans le ciel. »
L’équipe a également trouvé d’anciennes images dans lesquelles la binaire était visible, recueillies il y a 14 ans avec le télescope Canada-France-Hawaii (CFHT) à Hawaï. « Nous avons de nouveau observé le système cet été avec un autre observatoire hawaïen, le télescope infrarouge du Royaume-Uni. Grâce à ces données, nous avons pu confirmer qu’Oph 98 A et B se déplacent ensemble dans le ciel au fil du temps, par rapport à d’autres étoiles situées derrière elles, ce qui est la preuve qu’elles sont liées l’une à l’autre dans une paire binaire », explique Fontanive.
Un résultat atypique de la formation des étoiles
Le système double Oph 98 s’est formé il y a seulement 3 millions d’années dans la pépinière stellaire Ophiuchus, ce qui en fait un nouveau-né sur les échelles de temps astronomiques. L’âge du système est beaucoup plus court que le temps typiquement nécessaire pour créer des planètes. Les naines brunes comme Oph 98 A sont issues des mêmes mécanismes de formation que les étoiles. Bien qu’Oph 98 B soit de la bonne taille pour être une planète, l’hôte Oph 98 A est trop petit pour avoir un réservoir de matériaux suffisamment large pour former une planète aussi grande. « Cela nous indique que Oph 98 B, comme son hôte, doit s’être formé à travers les mêmes mécanismes que ceux qui produisent des étoiles, et montre que les processus qui aboutissent à des étoiles binaires fonctionnent aussi sur des versions réduites jusqu’à ces masses planétaires », commente Clémence Fontanive.
Avec la découverte de deux corps planétaires – déjà en soi des produits peu communs de la formation d’étoiles – liés l’un à l’autre dans une configuration aussi extrême, « nous assistons réellement à un résultat incroyablement rare des processus de création d’étoiles », comme le décrit Fontanive.
Informations sur la publication :Clémence Fontanive et al. : A wide planetary-mass companion to a young low-mass brown dwarf in Ophiuchus, accepted for publication in The Astrophysical Journal Letters, |
Recherche en astrophysique bernoise : parmi l’élite mondiale depuis le premier alunissageLe 21 juillet 1969, Buzz Aldrin a été le deuxième homme à descendre du module lunaire, il a tout de suite déployé la voile à vent solaire bernoise et l'a plantée dans le sol lunaire, avant même le drapeau américain. Le Solar Wind Composition Experiment (SWC) planifié, construit et les résultats analysés par le Prof. Dr. Johannes Geiss et son équipe à l’institut de physique de l’Université de Berne, a été le premier moment fort de l’histoire de la recherche en astrophysique bernoise. Depuis, cette recherche fait partie de ce qui se fait de mieux au niveau mondial. Le bilan en chiffres est impressionnant : 25 fusées (1967-1993) et 9 montgolfières (1991-2008) ont emportés des instruments dans la haute atmosphère et ou l’ionosphère, plus de 30 instruments ont intégré des sondes spatiales et avec CHEOPS, l’Université de Berne partage la responsabilité de l’intégralité d’une mission avec l’ESA. Le travail fructueux du département de recherche en astrophysique et planétologie (RAP) de l’Institut de physique de l’Université de Berne a été consolidé par la fondation d’un centre de compétences universitaire, le Center for Space and Habitability (CSH). Le Fonds national suisse a en outre accordé à l’Université de Berne le financement du pôle de recherche national (PRN) PlanetS, qu’elle dirige avec l’Université de Genève. |
16.12.2020